Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages
AFPD, 1997

Le gardien des Drosera

Joseph en avait eu la certitude à la fin de sa tournée hebdomadaire, car il les avait comptées et recomptées soigneusement, accroupi dans la boue du marais de la Cerisaie. Dix-huit Drosera, minuscules et rarissimes plantes carnivores, manquaient à l’appel.

Perdue au milieu de la forêt, la réserve des Drosera était pourtant peu connue. Seuls, quelques botanistes initiés et audacieux y parvenaient, parfois, en se risquant au milieu des roseaux et des touffes géantes de molinies. Il ne vint pas à l’esprit de Joseph, le garde-forestier, de les soupçonner, tant il connaissait et appréciait leur vénération pour ces trésors rescapés de la grande destruction des tourbières.

À l’abri d’une ancienne hutte de chasse, Il décida de faire le guet plusieurs nuits de suite. L’été était chaud et le ciel étoilé. Au cours de la troisième nuit d’attente, il entrevit une ombre qui pénétrait dans le marais. Muni d’une lampe, l’homme se mit à arracher soigneusement les petites rosettes rougeâtres et à remplir délicatement un sac de plastique noir.

Joseph n’eut pas de peine à surprendre le voleur de Drosera, en qui il reconnut un ouvrier fleuriste de la petite ville voisine. Celui-ci lui raconta qu’il les vendait à une association de protection des plantes carnivores, dont les membres avaient pour mission de repeupler les marécages désertés par la plante mangeuse d’insectes.

Le garde lui fit replanter les Drosera et lui indiqua un chemin rapide, mais probablement fatal, pour rentrer au village par les marécages, puis il s’éloigna dans la direction opposée.


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