Alain Fraval / Peintures / Paysages ?
Récits-paysages
AFPD, 1997
A la fin de sa vie, le vieux roi voulut faire de son royaume un jardin, un vaste paradis pour jouir du parfum des fleurs, de la musique des cascades et de lenvol des oiseaux. Autour des villes qui enflaient chaque jour un peu plus, il fit dabord planter dépaisses forêts impénétrables pour stopper la lente et inexorable invasion urbaine. Car il souhaitait mettre un terme à la destruction des derniers lambeaux de nature insuffisamment protégés par des lois timides et des fonctionnaires corrompus.
Cela ne suffit pas. Devant la puissance des techniques de déboisement et surtout en raison de la raréfaction des espaces disponibles, la forêt nouvelle se mit elle-même à reculer devant la progression du front urbain dévastateur. Elle fut dabord grignotée, insensiblement, insidieusement, par-dessous avec des tunnels routiers ou par-dessus en raison de la pollution de lair. Usée, elle se mit à céder et à sémietter.
Alors le roi décida de faire creuser de vastes et profondes douves entre les forêts et les villes. Les rivières les remplirent deau et les grenouilles en firent leur domaine, à tel point que leur coassement bruyant et persistant suscita de vives colères urbaines. On voulut les faire taire, les exiler, les déporter, les massacrer. Le roi inflexible sy opposa, car les grenouilles étaient bleues, ce qui en faisait une espèce fort rare pour le royaume. Alors, les riverains des fossés déménagèrent les uns après les autres et désertèrent les lisières forestières qui retrouvèrent leur sérénité. Cernées par les batraciens, les villes cessèrent de croître et le souverain satisfait put alors continuer la transformation de son royaume en jardin.
Alain Fraval / Paintings / Landscapes?