Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages
AFPD, 1997

Les dames du vin

L’une est blonde et l’autre brune. Maria Giulia et Giovanella Fuggaza gouvernent soixante hectares de vignes situées sur les collines d’Emilie-Romagne, à cinquante kilomètres de Milan. Maria vend les vins de Castello di Luzzano et accueille les clients éphémères des huit appartements meublés qui ont remplacé les logements des métayers. Giovanella dirige avec énergie et autorité la production viticole de l’« hazienda ». Les deux sœurs appartiennent à l’organisation des « dames du vin » qui commercialisent à travers l’Italie et l’Europe leur meilleurs crus.

Ces dames aux manières aristocratiques, aux regards souriants et déterminés gèrent leur domaine familial en entrepreneurs éclairés, mais surtout en hôtesses avisées. Maria vend des week-end aux Milanais et aux Allemands. « Ils aiment beaucoup la cuisine traditionnelle, le confort des chambres et les beaux paysages de nos collines » déclare-t-elle, en évoquant la construction d’un nouveau restaurant dans la ferme. Aussi la conservation de la qualité du paysage et de l’architecture locale devient-elle un de ses soucis majeurs : « Ma ferme est un exemple pour les couleurs typiques de la région, mais tout a été fait ici sans penser à l’esthétique ». Elle milite pour que les constructions laides soient éliminées, construit un musée qui expose les produits des fouilles d’une villa romaine trouvée sur ses terres et préfère les poteaux de vigne en bois à ceux en ciment : « Ils durent plus longtemps et c’est mieux pour la récolte ».

La culture italienne du paysage, qui consacre le spectacle des collines agricoles, s’accorde naturellement avec les projets de développement agritouristique. Entre les montagnes forestières et froides et les plaines torrides et agro-industrielles, les « poggio » offrent des havres de calme et de beauté, plantés d’oliviers et de vignes. Dès le XIVe siècle, Ambrogio Lorenzetti avait peint les images souhaitables des collines de Sienne, d’une manière si convaincante que ce projet « d’un bon gouvernement » du paysage est, aujourd’hui, une réalité. Devenue « le fond de commerce » des économies régionales, la qualité des paysages ruraux est, désormais, de plus en plus associée aux produits des terroirs, comme si la beauté des uns ne pouvait que rehausser l’authenticité des autres, comme si le charme des dames du vin était indissociable de la « toscanité » de leur hazienda, de la chaleur de leurs chambres d’hôte et du léger pétillant de leurs vins rouges.


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