Alain Fraval / Peintures / Paysages ?
Récits-paysages
AFPD, 1997
Deux ans avant la Révolution française, Arthur Young appréciait la beauté du fleuve irriguant le jardin de la France. La Loire, la plus belle rivière dEurope, écrit-il, offre au regard des bancs de sable si larges et des eaux si peu profondes, quils en altèrent presque sa beauté. Le pinceau de J.M.W. Turner inventa la vallée pittoresque de Nantes à Orléans : les paisibles coteaux de Montjean, parsemés de ruines, devinrent romantiques. Barques et gabares envahirent le fleuve ; Blois prit des allures romaines et Orléans la forme de son paysage le plus flatteur qui réunit le pont et la majestueuse cathédrale.
Diffusée par les guides touristiques, la beauté du fleuve fut longtemps celle dune vallée de monuments admirables, de châteaux, de cathédrales et déglises remarquables, de villes aimables et de villages coquets, abondante en lieux « gracieux », mais dépourvue de sites grandioses. Une Loire immobile, pacifiée et sereine, industrieuse et prospère, aux campagnes « riantes et harmonieuses », sans débordements intempestifs.
Avec Julien Gracq et Maurice Genevoix, la vision du fleuve est modifiée. Leau devient violente sur les grèves de la Loire. Les berges sensauvagent comme les rives de lOrénoque et sengluent dans les marais noirs au bout des clôtures de haies vives et des peupleraies. Les peuples de leau, chasseurs et pêcheurs, en marge des villes et des terroirs, habitent le fleuve fantasque, sy déchirent et sy aiment au milieu des rouches et des libellules. Avec la disparition du trafic fluvial, reviennent les cormorans, les sternes et les martins-pêcheurs, puis se déclenchent les luttes des écologistes contre les barrages régulateurs de crues.
Le fleuve aux crues dévastatrices na jamais cessé dêtre sauvage. Autrefois les artistes lapprivoisèrent par les mots et le pinceau ; aujourdhui, avec laide des scientifiques, ils le naturalisent en lui réinventant une séduction fascinante faite de nostalgie et de terreur. Mais la peur nest pas vraiment celle du fleuve, mais plutôt celle de la perte tragique des horizons de limaginaire poétique.
Alain Fraval / Paintings / Landscapes?