Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages
AFPD, 1997

Le deuil de l'ethnologue

Entre la vénérable maison blanche de Buffon et l’extrémité de l’antique galerie de botanique et de géologie du Muséum national d’histoire naturelle, un minuscule jardin vient d’être réalisé à la mémoire du botaniste Paul Jovet. Pionnier de l’écologie urbaine, il aurait eu cent ans en 1996 et poursuivait les plantes vagabondes entre les pavés des rues et les bords oubliés des voies ferrées.

Ce jardin a été édifié à l’initiative de l’ethnologue qui s’est passionnée pour l’étude des us et coutumes de la tribu des botanistes, espèce aujourd’hui menacée de disparition. Aidée par un scénographe et une paysagiste, Bernadette Lizet a rassemblé, à la manière des traditionnelles collections botaniques, les plantes étudiées et aimées par le botaniste. Contenue par des bordures de buis et accompagnée par de petits panneaux explicatifs, solitaire ou par petits groupes, chaque plante est chargée d’évoquer les manies et les passions du scientifique. Ses plantes préférées : par exemple, Senecio pallidus, évadé du jardin d’Oxford au siècle dernier et repéré en 1963 à Boulogne sur Mer par notre Sherlock Holmes Les espèces réellement sauvages : le pissenlit et la benoîte qui se ressemaient spontanément dans la bassine en fer-blanc, posée au coin du balcon de sa maison d’Athis-Mons. Et les fausses sauvages, en fait transportées, transplantées par les hommes et les animaux car incapables de voyager par leurs propres moyens comme le baccharis ou Euphorbia lathyris. Les plantes échangées aussi entre amoureux de la botanique et les plantes familières, fruitières ou potagères, tel cet étonnant poireau perpétuel.

Au-dessus de ce mémorial respectueux, des silhouettes sombres de plantes « jovetiennes » règnent comme des spectres amicaux : entre autres, un Bidens, irréductible voyageur venu clandestinement d’Amérique du Nord. Ce jardin est un hommage, autant à un éminent érudit qu’à l’ethnie en péril des botanistes. Après la disparition de l’« objet d’étude » de l’ethnologue, celle-ci en a construit le deuil en inventant le lieu de sa mémoire, comme pour un cénotaphe à inscrire dans l’éternité du Jardin des Plantes.


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