Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages

AFPD, 1997

Le parc de Bercy

Les noms des rues du village disparu de Bercy évoquaient les noms des vignobles d'où étaient issus les vins entreposés dans les chais : rue de Bordeaux, de Bourgogne, de Mâcon ou de Beaune. Dans le nouveau parc réalisé par l'architecte Jean-Pierre Faugas et le paysagiste Philippe Raguin, les traces de la mémoire des lieux n'ont pas été effacées comme dans le jardin André-Citroën : une trame régulatrice orthogonale de chemins piétonniers a été superposée aux reliques du passé, soigneusement restaurées.

À la surface des vieilles rues pavées, sourd l'haleine de l'histoire locale : bornes usées, tronçons de voies ferrées ou chai reconstruit. Spectaculaires : une maison blanche du siècle dernier et les charpentes altières de vénérables platanes convertis d'arbres de rues en arbres de parcs. Pittoresque : une vraie ruine de château conquise par les enfants. Horticoles : les massifs fleuris qui constellent les pelouses encombrées et la pergola hiératique. A peine né, le parc est vieux d'une épaisseur historique héritée. Le vieux village et la halle aux vins hantent désormais, comme des spectres convoqués, les allées des jardins semés de monuments modernes dédiés aux forces météoriques : au vent, au feu et à l'eau.

Ultime réécriture sur un parchemin déjà surchargé, le jardin potager et la vigne, clin d'oeil au commerce des vins qui animait jadis les quais de la Seine. Au-delà des grilles, une vaste prairie arborée où s'alignent sur le sol d'indiscrètes bornes noires et des kiosques aux allures funéraires Indiscipliné, le jardin bavarde, parle, au passé et au présent, des langues étrangères les unes aux autres. C'est un forum éclectique, un bruissement de signes et de signaux, un marché de la sensation et de l'information. Un parc post-moderne ?

Jardin d'architecte, comme le revendique son auteur, le parc de Bercy est un faux palimpseste, car toutes les traces de l'histoire n'ont pas été effacées ; au contraire certaines ont été pieusement conservées. L'écriture du parc relèverait plutôt de la palingenèse qui désigne le retour à la vie après un état de mort réelle ou apparente. Mais Bercy est bien mort et ne peut ressusciter. Ce que veut construire le parc est le deuil collectif d'une présence regrettée, un lieu symbolique à la mémoire d'un pan de l'histoire parisienne, doublé d'une célébration incantatoire des forces incontrôlables de la nature. Tentative d'exorcisme des spectres de l'histoire comme des puissances de l'Olympe, le parc a été malheureusement isolé du fleuve par un imposant talus et une voie routière ; ils le privent d'une relation essentielle à son insertion dans la ville : l'imaginaire de la Seine.


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