Alain Fraval / Peintures / Paysages ?
Récits-paysages
AFPD, 1997
Des pins au milieu des livres. Des pins sylvestres extraits avec mille précautions d'une forêt normande sont enchâssés dans l'écrin métallique de la bibliothèque nationale de France. Au sein du temple moderne de l'accès informatisé aux savoirs de la planète, un vaste patio rectangulaire contient un pan de nature forestière, immobile, haubanée et tuteurée. Au pied des troncs rigides comme des mâts de navire, serpentent les molles ondulations de parterres raffinés. Ce jardin est bien un artifice, un système symbolique de représentation du monde, une sylve transplantée là pour évoquer les forêts lointaines et sauvages.
Enclos sacré inaccessible aux mortels, ce nouveau nemeton est manifestement prévu pour la procession périphérique. Conçue pour être vue et non pénétrée, mise à distance derrière les vitrages épais, la pinède de Tolbiac est désormais l'horizon insondable du lecteur comme du visiteur. Transparente aux regards, elle symbolise le mystère des origines forestières de notre culture. Ce n'est pas là son seul paradoxe.
Les médias électroniques rendent aujourd'hui accessibles tous les écrits du monde, et, en économisant le papier, semble-t-il, ménagent le bois des forêts. Publier un livre, à l'avenir, sera possible sans détruire un arbre, mais en perdant le plaisir du contact du papier. Le liber des écorces pourra être épargné sans que le livre (liber en latin) en souffre. Par leur présence immobile et sereine, les pins de Tolbiac rassurent, car, derrière l'écran de verre, ils représentent l'univers réel et précieux de la vie au milieu du monde virtuel de la connaissance.
Le bosquet de la bibliothèque ne restera pas solitaire. Bientôt le rejoindront, au milieu des immeubles voisins, les arbres de deux squares voisins, le jardin Georges-Duhamel et le jardin James-Joyce, sans compter les plantations des quais et de l'allée Arthur-Rimbaud, pour interpeller de l'autre côté du fleuve, les frondaisons des platanes du parc de Bercy.
Un mystère reste entier : pourquoi les paisibles houx qui longent les escaliers d'accès de la rue Durkheim sont ils enfermés dans des cages en grillage digne d'animaux féroces ? Qui est en danger, les visiteurs ou les houx ?
Alain Fraval / Paintings / Landscapes?