Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages
AFPD, 1997

Le voleur de martins-pêcheurs

Les chasseurs de la tribu des Gorongo appréciaient les martins-pêcheurs comme certains Français les ortolans. Ils les dégustaient rôtis sur la braise après leur avoir sectionné la tête d’un coup de dent. Dans le pays de marais des Gorongo, les martins-pêcheurs avaient fini par se raréfier autour des villages, ce qui obligeait les chasseurs à s’enfoncer de plus en plus dans la forêt marécageuse.

C’est là qu’ils rencontrèrent un jour un jeune ornithologue suisse envoyé par une organisation internationale de protection de la nature pour étudier les derniers martins-pêcheurs des marais Gorongo. Il leur expliqua, dans leur dialecte qu’il avait appris en Europe, que les martins-pêcheurs étaient menacés de disparition et que, lui, était envoyé pour mettre fin au massacre qui allait priver les Gorongo d’un si bel oiseau et l’humanité d’une race unique d’Alcedinidae.

Pour capturer les oiseaux afin de les observer attentivement et de les marquer, l’ornithologue disposait d’un filet métallique d’une si grande efficacité qu’il suscita la jalousie des Gorongo. Non seulement, ils l’accusèrent de piller leur domaine de chasse et des les affamer, mais ils lui volèrent son épuisette.

Le jeune naturaliste eut beau leur expliquer, qu’à ses yeux, leur forêt et ses oiseaux étaient si précieux qu’il n’osait y prélever quoique ce soit et que les martins-pêcheurs étaient relâchés après leur capture, il ne parvint pas à les convaincre et repartit déçu vers l’Europe. Il laissa les Gorongo perplexes devant cette capitulation trop facile d’un concurrent mieux armé qu’eux.

La nature des uns n’était pas celles des autres. La forêt sauvage des Gorongo, lieu de chasse et de séjour des ancêtres, délimitait leur clairières d’habitat, de champs et de jardins. Mais de cette nature forestière lointaine, l’ornithologue européen faisait une nature idyllique et un sanctuaire protégé de la culture occidentale destructrice. Les martins-pêcheurs empruntés un instant aux Gorongo n’appartenaient plus à des marécages inconnus, mais à un Éden en forme d’arche de Noé.


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