Alain Fraval / Peintures / Paysages ?
Récits-paysages
AFPD, 1997
Elle était arrivée des tropiques dans les ports du sud, mystérieusement. Peut-être avec une cargaison de bois, avec des animaux domestiques ou grâce à des oiseaux. On lavait vue dans un bras de rivière des Cévennes, couvrant dun tapis jaunâtre et venimeux les eaux dormant à lombre des saulaies. On lavait aperçue dans des torrents des Pyrénées. Puis elle avait disparu sans que nul ne sen soucie. Cétait une voyageuse dangereuse, une tueuse inconstante, une hydre incontrôlable qui exterminait toute vie aquatique. Pour une raison inconnue, elle avait plu à lillustre botaniste Linné qui lavait nommée en la dédiant à son ami Bernard de Brancieu.
Mais la réputation de linsaisissable Brancieua, navait pas atteint le cercle des amateurs de plantes aquatiques. Ils la collectionnaient, la plantaient et la replantaient dans leurs petits jardins ; ils se léchangeaient, sans que ses funestes propriétés ne se manifestent. Dans les univers confinés et artificiels, elle dormait, tapie dans une attente patiente du grand soir. Ce moment arriva quand on décida au milieu dun parc urbain de créer un marais, qui fut soigneusement planté avec la plante infernale.
Elle ne se manifesta pas tout de suite, mais senracina longuement, profondément dans les eaux fangeuses du jeune marécage. Sans se montrer, elle occupa sous leau tout lespace disponible et étouffa ses concurrentes. Au cours dun printemps torride, elle déclencha son invasion, recouvrit dun voile jaune le marais, expulsa les oiseaux et commença à déborder sur la terre ferme en digérant tous les obstacles : massifs, bancs, chiens et chats. Les arbres asphyxiés succombèrent et le parc fut fermé, tandis que les spécialistes se consultaient.
Aucun produit connu ne semblait pouvoir venir à bout de la plante folle et on se demandait sil ne fallait pas la brûler, comme une sorcière exaltée. Le magma végétal, qui exhalait une puanteur insoutenable, sétait arrêté au bord des autoroutes voisines ou stationnaient, masqués, les militaires des unités dintervention. En dernier ressort, il fallut avoir recours à des batteries de lance-flammes pour mettre fin à lapocalypse annoncée. Le lendemain le Parlement vota, avec une belle unanimité, linterdiction de planter et de commercialiser la plante tragique.
Alain Fraval / Paintings / Landscapes?