Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages
AFPD, 1997

Le jardin d'essais

En 1932, au Jardin d’essais de Rabat, les Français tentaient l’acclimatation de variétés d’arbres fruitiers du monde entier pour mettre en valeur les terres marocaines. Cinquante variétés de poiriers, trente-deux de pommiers, trente-deux de pêchers, trente-et-une d’orangers, vingt-et-une de pruniers japonais, douze de kakis, dix d’oliviers, neuf d’abricotiers, neuf de citronniers, huit de mandariniers, huit de cognassiers et cinq de pomélos, étaient plantées à quelques centaines de mètres de Bab Rouah, l’une des portes principales de la ville.

En 1914, le Jardin prit forme grâce à Jacques Bellier, l’ancien directeur du Jardin d’essais de Sfax à partir d’un projet de l’architecte-paysagiste Claude-Nicolas Forestier. Jusqu’en 1930, furent plantées deux cent cinquante variétés essentiellement fruitières, mais aussi ornementales, dont les plus prometteuses furent adoptées par les colons français. On n’y rêva pas de la production de caoutchouc en cultivant les Ficus comme au Jardin du Hamma à Alger. Cependant le Jardin fut la porte discrète par laquelle entrèrent des cultures inconnues, aujourd’hui devenues banales comme le pacanier et l’avocatier.

Quarante ans après l’Indépendance du Maroc, habité par la Recherche agronomique et immergé dans le tissu urbain de la capitale du royaume, le Jardin d’essais est devenu un espace vert menacé où perdure le souvenir tenace du temps révolu de l’acclimatation : collections vieillies, rocailles écroulées, bassins envasés et allées dévorées par les racines des banyans. Taraudé par un nouveau tunnel ferroviaire et grignoté par des rachats fonciers intempestifs, le parc, au bord de l’apoplexie, cherche un nouveau souffle.

Mais sa mémoire est encore indésirable et son histoire reste à écrire. En tant que parc urbain, il ne peut être effacé, bien que son dessin géométrique et sa perspective obstruée par la ville indifférente, signent le souvenir du protectorat français. Alors que les nouveaux parcs d’Europe renouent avec la mémoire des lieux, trop longtemps méprisée, l’avenir du Jardin d’essais ne peut habiter son passé encore trop douloureux.

Alors que les deux villes jumelles, Rabat et Salé, connaissent une formidable croissance démographique remettant en cause les centres historiques, les traces « vertes » de la présence française attendent un devenir. Parfois très fréquentées et appréciées comme au « Triangle de vue » près de la Médina, elles ont été, de fait, appropriées par la société « rbati » qui a, en quelque sorte, réinventé ces hauts lieux du passé colonial.


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