Alain Fraval / Peintures / Paysages ?


Récits-paysages
AFPD, 1997

Un parc de campagne

Entre les peupliers blancs, sur les dalles qui pavaient le lit du petit oued, l’eau paressait et s’endormait en flaques moussues. Leila, assise sur un banc, contemplait les dernières traces de la crue qu’avait provoqué l’orage. Il était arrivé de La Valette en nuages menaçants et s’était abattu brutalement sur les vergers d’orangers des jardins de Buskett. Leila avait eu à peine le temps de se réfugier sous les vastes hangars où les Maltais venaient souvent pique-niquer en famille pendant le week-end.

Dès que l’école la libérait, elle aimait faire le détour par les vergers et les vignes avant de rentrer chez elle ; le parfum des orangers la fascinait et, parfois, elle se laissait tenter par les fruits trop provocants. Aucun gardien ne parcourait les vergers ouverts au public. Les nombreux ouvriers qui entretenaient les cultures suffisaient en général à dissuader les chapardeurs, fort rares par ailleurs.

Ce petit miracle ne tenait pas seulement au respect naturel des Maltais pour la propriété d’autrui, mais à la conception même du verger qui avait été voulu au XVIIe siècle comme parc de promenade par le propriétaire du château de Verdala. La silhouette imposante de l’édifice, noyée dans une étonnante forêt de pins, de chênes et de lauriers, dominait les terrasses agricoles où serpentaient des allées pavées et ombragées.

Leila s’installait habituellement sur un belvédère planté de jacarandas et limité par une balustrade en pierre. A ses pieds, le parc était rarement désert : les ouvriers irriguaient, taillaient, désherbaient, labouraient ou récoltaient. Il respirait au rythme des saisons qui se succédaient chacune avec sa récolte : raisins, clémentines, olives, mandarines, oranges, pamplemousses et citrons. Et comme les oiseaux, les ouvriers chantaient : d’étranges mélopées que Leila ne comprenait qu’en partie et qui venaient des rivages proches de l’Afrique. Ce jardin ne pouvait être comparé à aucun autre sur l’île. Elle les détestait tous, surtout les jardins de Saint-Antoine, rutilant parc botanique créé par le grand maître Antoine de Paule au XIXe siècle et où de délicieuses petites chèvres blanches étaient enfermées dans les cages sordides d’un zoo.


Plan du site page précédente retour au sommaire page suivante

Alain Fraval / Paintings / Landscapes?